Réutilisation et partage des aiguilles et seringues
Le partage
des aiguilles et des seringues est moins répandu que celui d’autres outils
(Strike et al., 2010) mais est toujours relativement pratiqué. En Ecosse
(Scott, 2008), il a été montré lors d’une étude qu’entre 10 et 12% des usagers
de drogues injectables ont utilisé la seringue de quelqu’un d’autre dans le
mois précédent, et qu’entre 8 et 12% ont conservé leur seringue pour la prêter
à quelqu’un d’autre. De plus, de 65 à 70% des usagers conservent leurs propres
aiguilles pour les réutiliser. Dans une étude prospective multicentrique
réalisée aux Etats Unis, Hagan et al. (2010) ont découvert que 49% des
personnes interrogées avaient utilisé une seringue déjà utilisée par d’autres
dans les six mois à un an précédents. Strike et al (2010) ont démontré que 36%
des usagers du Canada anglophone partageaient volontairement leur propre
matériel. En France, on estime que 170 seringues sont données ou vendues par
personne par an, ce qui revient à moins d’une demi-seringue par personne par
jour (INSERM, 2010). On peut donc imaginer que la réutilisation (ou le partage)
des seringues reste très commun.
En plus
du partage «délibéré» ou «en connaissance de cause»,
qui peut d’ailleurs être dû à un manque d’équipement disponible, plusieurs
situations engendrent de la confusion. On peut penser qu’une atmosphère
festive, ou la présence d’une large quantité de matériel peut rendre difficile
la reconnaissance des outils pendant des sessions d’injection de groupe, sans
parler des effets des substances ingérées ou injectées.
En
France, un sondage (Debrus, 2008) a montré que la vaste majorité des usagers de
drogues injectables s’était déjà injectée en présence d’autres usagers
injecteurs, et que 45% d’entre eux ont déjà eu des doutes sur l’identité du
propriétaire des outils utilisés. La distribution d’outils de différentes
couleurs peut ainsi permettre aux usagers de drogues injectables de différencier
leurs outils de ceux des autres. Même si le but principal demeure l’usage
unique de matériel stérile, la réutilisation est plutôt la règle que
l’exception (Debrus, 2008). Ainsi les couleurs peuvent permettre aux usagers de
réutiliser au moins leur propre matériel.
Choix de
modèle de seringue et espace mort
Les seringues sans aiguille attachée sont parfois
préférées par les usagers de drogues injectables car celles-ci sont disponibles
dans toutes les tailles (2ml, 5ml etc) et parce qu’elles permettent
l’utilisation de différents types d’aiguille (le type d’aiguille choisi dépend
du site d’injection, de l’état de la veine, du type de drogue utilisé…). Bien
qu’il soit important de fournir les outils demandés par les usagers,
l’utilisation de ces seringues devrait être découragée. Un de leurs désavantages
majeur est qu’elles ont un espace ou volume mort important, ce qui signifie
qu’elles retiennent une certaine quantité de produit quand le piston est
totalement enfoncé (Heimer & Abdala, 2000; Zule et al. 1997). Ce
liquide peut être totalement composé de sang, et ce à cause de la pratique de
la «tirette», qui consiste, après l’injection, à prélever un peu de
sang pour le mélanger avec ce qui reste de produit, avant de réinjecter le
tout.
Même si une seringue est rincée, en cas de partage,
même accidentel, le risque de transmission virale est plus haut quand des
seringues à aiguille détachable sont utilisées (Bobashav
& Zule, 2010, Gyarmathy et al., 2010 ; Zule & Bobashev, 2009 ; Zule et
al., 2002). En effet le VIH et le virus de l’hépatite C y ont été tous les deux
trouvés en grand nombre. Ils survivent aussi plus longtemps dans les seringues
à espace mort élevé, et sont aussi plus infectieux (Heimer & Abdala, 2000;
Paintsil et al., 2010).
Les seringues rétractables, ou les seringues
difficiles à utiliser
Différents
types de seringues auto-bloquantes ou difficiles à ré-utiliser existent. Le but
de ces outils est d’empêcher qu’ils soient utilisés une seconde fois.
Différents mécanismes ont donc été développés dans ce but:
Un gel hydrophile est placé
dans la seringue. Au contact de la solution, ce gel s’épand et bloque le piston
ou bouche l’intérieur de l’aiguille
Le piston est conçu pour
être utilisé une seule fois, puis il se bloque. La plupart du temps, ce
problème est simple à contourner.
L’aiguille ne fonctionne
plus après usage, en étant par exemple rétractable. Le mécanisme ne fonctionne
que quand l’usager choisit de l’activer, et donc s’il ne le souhaite pas, il
peut réutiliser la seringue. L’avantage de cet outil est donc principalement
qu’il évite les piqûres d’aiguille accidentelles. Il n’est en revanche pas
efficace pour prévenir la réutilisation ou la transmission des virus.
Certaines seringues sont
équipées d’une valve qui empêche qu’elles soient remplies une seconde fois
Aucune de
ces seringues n’est parfaite à 100%, les mécanismes pouvant toujours être
contournés. L’utilisation de seringues autobloquantes pour prévenir la
contamination par les virus transmissibles par le sang parmi les usagers de
drogues injectables a été proposée et rejetée par les Pays Bas, l’Australie et
les Etats Unis (US Congress, 1992; Des Jarlais et al). Apothicom partage leur
position et celle de la Harm Reduction Coalition, et choisit de ne pas
commercialiser ce type de seringues pour les raisons suivantes (décrites plus
en détail dans le rapport du Congrès américain, 1992, Des Jarlais et al.)
Pour commencer, tous les
mécanismes peuvent être contournés. Comme les usagers peuvent choisir de les
réutiliser, ces seringues, qui sont d’ailleurs plus onéreuses, n’ont pas une
forte valeur ajoutée
Pour contourner ces
mécanismes, certaines seringues doivent être démontées, augmentant le risque de
blessures et de contamination bactérienne due à la manipulation.
Pour pouvoir réutiliser
certaines de ces seringues, le piston ne doit pas être enfoncé en totalité, ce
qui augmente l’espace mort des seringues et donc le risque de contamination
virale en cas de partage
Les seringues distribuées
aux usagers injecteurs ne le sont pas en nombre suffisant pour couvrir leurs
besoins. Ils n’ont donc pas accès à une seringue neuve par injection. Quand des
seringues difficiles à ré-utiliser sont distribuées, la quantité d’outils
distribués pour éviter la pénurie est bien plus élevée (plus de 700 seringues
par personnes et par an). Comme c’est quasi impossible d’atteindre ce chiffre
dans la plupart des cas, la rareté fait augmenter la valeur des seringues standards.«Cette situation peut en fait
conduire à plus de partage de matériel d’injection de drogues, et ainsi
augmenter le taux de contamination par le VIH parmi les usagers de drogues
injectables» (US Congress, 1992; Des Jarlais et al).
Cette
hypothèse est corroborée par une étude de modélisation mathématique réalisée
par Caulkins et al. (1998). Ils ont démontré que remplacer les seringues
standards par des seringues autobloquantes avait de grandes chances d’augmenter
les cas de VIH parmi les usagers.
Contaminations virales dues à la réutilisation
et au partage des aiguilles et seringues
La
présence de VIH (anticorps, AND ou ARN) a été détectée dans 20 à 94% des
seringues usagées examinées par Chitwood et al. (1990), Kaplan et Heimer (1995)
et Shah et al. (1996). Quand on se concentre sur la viabilité d’un virus à
l’intérieur de la seringue, c’est-à-dire à la présence d’un virus qui a la
capacité de causer une infection, le VIH est trouvé en plus grande
concentration et reste vivant pendant une plus longue période dans les
seringues à espace mort élevé (celles à aiguilles détachables, appelées
couramment Luer) que dans celles à espace mort faible (Heimer & Abdala,
2000; Zule et al., 1997; Zule et al. 2013). En cas de partage, même
accidentel, le risque de transmission et donc plus élevé avec ces seringues.
Le virus
de l’hépatite C (VHC) est plus virulent et infectieux que le VIH. Le VHC a été
détecté dans 70% des seringues usagées examinées par Crofts et al. (2000). A
l’intérieur des seringues sans aiguille attachée, ce virus reste infectieux
pendant 63 jours, pendant que les seringues avec aiguille attachée n’en
contenaient plus au bout de deux jours (Paintsil et al. 2010). Sur le terrain,
le partage des aiguilles est considéré comme un facteur de risque de
transmission de l’hépatite C. Pouget et son équipe (2011) ont conduit une méta-analyse
de 21 études scientifiques différentes et ont découvert que le partage
d’aiguilles est associé avec la transmission de l’hépatite C.
Bluthenthak
et al. (2007) ont démontré qu’en général, le nombre de seringues distribuées
devrait couvrir au moins 100% des besoins, une couverture moindre augmentant le
risque de partage et donc de contamination.
Autres infections et risques généraux associés à
la réutilisation des aiguilles et des seringues
La
réutilisation de seringues non stériles peut également être facteur
d’infections bactériennes avec des conséquences potentiellement sérieuses
(abcès, endocardites, septicémies). La plupart de ces bactéries proviennent de
la peau ou de la salive des usagers eux même. Des infections fongiques peuvent
aussi être transmises quand une personne lèche l’aiguille avant injection
(Gambott et al., 2006).
Quand les
seringues ou les aiguilles sont réutilisées, l’aiguille s’émousse et peut
endommager la peau et les veines, ce qui augmente le risque d’infections
(Kaushik et al.,2001)
Figure 1.
De gauche à droite, une nouvelle seringue et une
seringue qui a été utilisée 6 fois
En général, même avec un
équipement adéquat et une hygiène optimale, l’injection n’est jamais sans
risque. En plus des dommages pouvant être causés par les drogues, excipients et
blessures, l’injection mène souvent à une détérioration de l’état des veines.
Beaucoup d’usagers de drogues injectables rencontrent des difficultés à
s’injecter, souffrent d’hématomes ou de thromboses (Cadet Taïrou et al., 2008;
Salmon et al., 2009).
Recommandations
Pour réduire le risque de
transmission ou de contamination, chaque injection devrait être faite avec une
seringue stérile. Des seringues stériles devraient être distribuées dans les
quantités demandées par les usagers, et ce sans limite de nombre
Idéalement, le nombre de seringues
distribuées devrait couvrir plus de 100%
des besoins journaliers (les seringues peuvent être perdues ou confisquées et
certains usagers ont besoin de plus d’une seringue pour trouver une veine)
Ne forcez pas les usagers à
rapporter leurs aiguilles, mais encouragez cette pratique et mettez au point
des services d’échange de seringues dans des endroits appropriés avec des
heures d’ouvertures adaptées aux usagers.
Les procédures de nettoyage
des seringues peuvent réduire le nombre de pathogènes et de virus mais ne
peuvent pas complètement les éliminer
Il est nécessaire de
fournir des aiguilles et des seringues dans la taille et le volume demandé par
les usagers pour éviter de perdre contact avec eux. Cependant il ne faut pas
pour autant renoncer à les informer des méthodes les moins risquées
Il faut encourager les
usagers à utiliser quand c’est possible des seringues à espace mort faible et
fournir des informations et des services de réduction des risques (assistance
sociale, légale, sanitaire…)
Enfin, mettez à disposition
du matériel de réduction des risques autre que des aiguilles et des seringues,
comme des récipients de chauffe stériles, des filtres, des acidifiants, de
l’eau pour préparation injectable, des tampons alcools, des préservatifs etc.
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